17/10/2020 : Journée Mondiale de la Greffe et du Don d'Organes
Mégane est une jeune femme transplantée cardiaque suivie par le Professeur Lucile Houyel, de l'équipe du M3C-Necker.
A l'occasion de la Journée Mondiale du Don d'Organes et de la Greffe, qui a lieu le 17 Octobre 2020, elle nous a livré un témoignage très touchant sur son parcours, que nous tenions à partager avec vous.
Aujourd’hui est un jour particulier, il s’agit de la Journée Mondiale du don d’organes et de la greffe. A cette occasion, j’ai eu l’honneur d’être invitée à une table ronde. Malheureusement en ces temps compliqués, cela ne se fera pas cette année. Je suis un peu déçue, mais à travers ces quelques lignes j’espère vous transmettre ma joie de vivre et surtout rendre hommage à ce merveilleux cadeau qu’est la vie. Je m’appelle Mégane, j’ai 27 ans et je suis infirmière tout juste diplômée. Vous vous attendez peut-être à un témoignage de soignante pour cette journée, mais non, aujourd’hui c’est Mégane qui vous écrit. Mais qui suis-je ? Cette question je me la suis beaucoup posée notamment il y a bientôt 15 ans lorsque j’ai reçu le plus beau don : la vie en elle-même : un coeur. MON COEUR. Mais que pense une petite fille transplantée cardiaque ? Comment se construit-elle avec cela ? Quel rapport entretient-elle avec son corps à 12 ans ? 15 ans ? 17 ans ? 23 ans ? puis 27 ans ? J’avais 12 ans et du jour au lendemain on m’a diagnostiqué une insuffisance cardiaque au stade terminal, de cause idiopathique. Alors mon coeur je t’ai toujours beaucoup aimé, mais tu fais partie de mon corps, ce corps qu’il y a encore peu de temps je délaissais, détestais, insultais. Pourtant tu es mon sauveur, ça je l’ai très vite réalisé même à 12 ans, alors se retrouver dans cette ambivalence n’a pas été simple. Entre l’amour et la haine il n’y a qu’un pas, alors voici mon histoire. Mon coeur, mon corps et moi. Me voilà à l’hôpital ce monde de tarés, pour moi ce monde imaginaire dans lequel mes parents sont des héros qui y travaillent, quant à moi je joue au docteur et à l’infirmière dans ma chambre, et je regarde Urgences à la télé ça s’arrête là. Je n’ai jamais été malade et me voilà embarquée dans cette aventure. J’accepte très vite de t’attendre mon coeur, je n’ai pas trop le choix, c’est soit ça, soit je tire ma révérence. A 12 ans impossible pour moi, la vie vaut trop le coup d’être vécue. Me voilà dans l’attente, je prépare mon esprit à te rencontrer mais je n’ai pas peur je sais que tu vas venir. Cette attente est très rapide car mon corps ce héros, se fatigue de plus en plus dans mon lit d’hôpital. Moi qui ai toujours rêvé d’être une star, ça y est je suis la « star » de l’Agence de la biomédecine, ce soir de décembre je suis une super-urgence. Pour l’instant la seule question que je me pose c’est : « Est-ce que je t’aimerai toujours si je n’ai plus le même cœur, papa ? ». Le pauvre papa super héros, comme s’il n’était pas assez chamboulé, doit répondre à ça. C’est ça être un super héros, il y répond et me rassure, je l’aimerai toujours alors c’est parti pour le casting ! Un premier coeur se présente à moi mais il ne remplit pas les conditions, la nécrose ne fait pas partie des compétences recherchées : Next ! Alors je reste endormie telle la belle au bois dormant pendant 2 jours, un nouveau coeur se présente, ça y est, il est embauché.
Une fois bien installé dans ma poitrine c’est à toi de jouer, tu as le premier rôle coco, montre-nous de quoi tu es capable. L’ambiance est palpable, vas-tu repartir et réinjecter mon sang dans mon corps ? Un, deux, trois, dégagez, choc délivré !! Boum, boum, boum la vie est repartie !!! Mon corps t'accepte, je me réveille des sondes et perfusions partout, j’ai faim ! Mais je suis heureuse, un sentiment de plénitude rempli mon être. Je ressors de notre première scène « la réanimation », direction le service et le sapin de Noël, c’est quand même plus sympa. Acte 2 : Action !! Les jours passent et j’aperçois des choses qui ne me plaisent pas. Je regarde mon corps allongé, déjà que je n’étais pas grosse me voici rachitique, mais bon j’ai des supers longs ongles je vais pouvoir me mettre du vernis. Un deux trois allez debout !! Oulala je ne tiens pas sur mes jambes qu’est-ce que c’est que ce bordel, allez mon corps bouge-toi ! Je veux aller me regarder dans un miroir. Oh mais c’est moi ça ??? Pourquoi j’ai un pansement sur le thorax ? Mon ventre est rond comme un ballon, où sont passées mes tablettes de chocolat ?! Mes jambes c’est des baguettes, je ne sais même plus marcher ! Pourquoi mes yeux et mon visage sont si gonflés ? AAAAAAAAAAAh pourquoi j’ai de la moustache !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! J’explose en pleurs, mais ma maman me rassure : le temps passe, après la pluie vient le beau temps. Acte 3 : Je sors de l’hôpital, je ressens l’air entrer dans mon corps, c’est agréable. Ce genre de détail que l’on oublie mais qui est magique : pouvoir respirer, marcher, courir, rire, danser ! Je suis retournée à l’école, j’ai revu mes amis, je suis retournée à la danse, partie au ski. Très vite tout a repris son cours. Mais après le soleil peut venir la pluie… Acte 4 : Où est passé mon visage aux traits fins ? Pourquoi mes joues ressemblent-elles à celles d’un hamster, mes yeux à ceux d’une grenouille, et pour couronner le tout j’ai des poils partout, appelez-moi le chimpanzé ! Mais ce n’est pas fini mon cœur, tu m’as aussi laissé des souvenirs une cicatrice juste au milieu du thorax avec deux croix à côté des drains, tes supers copains… Je ne me reconnais pas, ma famille me dit que je suis belle mais moi quand je regarde les anciennes photos ce n’est plus moi, ce n’est plus la jolie Mégane que j’étais… Puis l’adolescence arrive, mon corps change et chez moi tout a changé. Je ne sais pas qui je suis et ça on ne nous l’apprend pas à l’école, alors je continue ma vie en mode survie. Je ris, je pleure, j’apprends, heureusement j’ai une chance énorme d’avoir une super famille qui m’aide à me construire, qui me soutient. Grâce à tout ça petit à petit je traverse les étapes du deuil et j’accepte mon cadeau. Ma greffe mon coeur je milite dès le début pour le don d’organes, je cherche à sensibiliser. Acte 5 : J’ai 15 ans le temps des soirées est arrivé, j’aime trop danser et heureusement mon corps m’a vite aidé à récupérer cette faculté. Je n’ai pas le droit de boire d’alcool, parce que j’ai trop peur de faire du mal à mon coeur que j’aime beaucoup. Car ça y est j’ai retrouvé un peu de beauté, mes abdos se sont redessinés, mes yeux ont dégonflé, les poils sont à peu près gérés. Bon il reste cette cicatrice et cette absence de seins, mais je me rends compte que je plais quand même aux garçons, certains sont cons d’autre moins, bref j’ai 17 ans quoi ! Acte 6 : Les années passent, je continue à survivre car c’est ma vie c’est de la survie. Depuis le début de la greffe, mon corps m’a donné des migraines comme signal d’alerte. Je n’écoute pas ce signal je tente de l’étouffer avec du doliprane, de la codéine, de la lamaline, des fois même de la morphine. Mais le signal gagne toujours et me laisse à plat dans mon lit. Les médecins ne savent plus quoi faire pour diminuer les douleurs de mon corps, et moi il m’énerve de plus en plus lui et ses migraines. Il y en a marre d’être souvent malade et donc absente en cours, d’avoir de moins en moins d’amis parce que les ados malades et déprimés c’est chiant. Les autres ont bien d’autres choses à faire et ils ont raison ! Malgré les notes correctes je suis fatiguée de lutter à l’école, fatiguée de lutter dans ma vie. Je veux changer d’air, je veux être auprès des enfants malades. Je veux devenir auxiliaire de puériculture. Mais combien de temps ai-je à vivre ? Est-il possible d’avoir un enfant ? De nouvelles questions se bousculent dans ma tête, et je ne sais toujours pas qui je suis, je pense beaucoup à ma chance de vivre, mais aussi à ma peur de mourir. J’ai rencontré un super mec mais je pense que je le fais flipper, bah ouais Frankenstein en copine il y a mieux ! Il est plus vieux que moi, plus mature que les autres, il ne me juge pas et m’aide dans mon processus de survie. Je me sens moins seule, il m’aide à traverser deux rejets de mon greffon par chance je reste en vie pas besoin d’autre greffe. Mais la peur est continuellement là dans mon corps. Mais je continue mon chemin, cet homme est devenu l’homme de ma vie. Quant à moi je suis devenue auxiliaire de puériculture en pédiatrie début de ma résilience, mon rêve le plus fou est de devenir infirmière en pédiatrie. Acte 7 : J’ai 24 ans et je rentre à l’école d’infirmières, qui suis-je ? Ces cours me chamboulent, vais-je supporter que tous mes cours résonnent en moi ? Trois ans plus tard j’ai appris qui j’étais, et qui je voulais devenir. J’ai rencontré des gens formidables. Et aujourd’hui mon rêve le plus fou s’est réalisé, je suis devenue infirmière en pédiatrie, ma résilience est arrivée à son apogée. J’ai 27 ans et MON coeur, MON corps et MON esprit sont en harmonie car aujourd’hui j’ai appris la différence entre la survie et la vie. Je ne cherche plus à survivre mais simplement à vivre, un long cheminement, un énorme travail sur moi-même, m’ont permis de comprendre que je ne suis pas juste transplantée cardiaque, je ne porte pas que le coeur d’un autre. Je porte une histoire, un vécu, comme tout le monde. Que mon corps est fort, que mon esprit est courageux, et que mon coeur est amour. L’amour qui me relie à ce donneur à qui je pense très souvent, un petit ange jamais loin mais qui me permet d’aller très loin ! Ce don que lui et sa famille m’ont fait est un cadeau magnifique qui fait de moi aujourd’hui la personne que je suis.
Mais surtout il m’a fait comprendre l’importance de prendre soin de soi, et d’être conscient de la force que nous avons chacun à l’intérieur de nous. Mon corps je te demande pardon pour ces années où je t’en ai voulu, où je ne t’ai pas accepté comme tu étais, où je t’ai insulté. Je te remercie de me permettre d’ouvrir les yeux tous les jours, de rire, sourire, pleurer, crier, de soigner, d’apprendre, d’aimer.
De tout simplement vivre, merci d’avoir attendu que je comprenne la leçon. Il n’y a pas plus beau cadeau que la vie elle-même. Je n’ai pas fini d’apprendre à me connaitre mais j’en ai déjà compris une bonne partie. La vie n’est pas un monde de bisounours mais elle nous fait grandir.
Ma mission est de comprendre l’importance du moment présent, car :
« Hier est de l’histoire, demain est un mystère mais aujourd’hui est un cadeau. C’est pour cela qu’on l’appelle présent. » Eleanor Roosevelt.
LE DON D’ORGANES SAUVE DES VIES, PARLEZ-EN !!!!
Mégane
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